SÉCURITÉ.
PARLONS-EN !

Trois conseils aux élus locaux qui veulent vraiment ouvrir le dialogue sur la tranquillité publique.

Y a-t-il dans la salle des élus qui peuvent me regarder dans les yeux et me dire qu’ils sont tout à fait à l’aise dans leur manière d’aborder les questions de sécurité avec leurs concitoyens ? J’en vois à ma gauche pour qui le sujet ressemble à un bon gros flacon de nitroglycérine… Mais je vous vois aussi, au fond à droite, sauter sur le premier fait divers pour montrer vos gros bras. Laissez-moi vous raconter trois courtes histoires. Trois belles expériences professionnelles dont j’ai tiré trois leçons. Juste pour vous. Mais vous en ferez bien ce que vous voudrez…

Affrontez les enjeux sans tabou

A Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, le trafic de drogue est LE fléau qui pourrit la vie des habitants de plusieurs quartiers. Mais qu’est-ce qu’une mairie aussi bien intentionnée soit-elle pourrait bien y faire ? Peut-être commencer par mettre le sujet sur la table. Vraiment. Dans toutes ses dimensions. C’est précisément ce que nous avons fait en lançant l’Université Populaire Prévention Sécurité un samedi pluvieux de mai 2013. Il a d’abord fallu qu’ils apprennent à s’apprivoiser, mais le soir venu, médecin, sociologue, juge, commissaire, élu, responsable associatif ou habitant du quartier, chacun s’est quitté en co-acteur de la sécurité. Un moment comme celui-ci permet de "comprendre les enjeux, de dépasser les effets de fascination et de peur que nous inspirent le trafic" résumait Emmanuel Meunier, qui représentait la mission de prévention des conduites à risque du Conseil général de la Seine-Saint-Denis. A titre personnel, je garde un souvenir ému de la naissance et du déploiement de cette démarche co-construite "en pied d’immeuble", avec les acteurs associatifs des quartiers concernés.

Vous avez du mal à la comprendre, cette revendication croissante de vidéoprotection ? Vous vous dites qu’il n’y a que des coups à prendre à parler d’attaques entre bandes rivales quand vous n’avez pas les leviers d’action ? Lancez-vous. Osez. Rien n’est pire que de donner le sentiment que vous ne prenez pas en considération ce que vivent les habitants au quotidien et/ou ce qu’ils ressentent de manière intime !

Affranchissez-vous des barrières institutionnelles

"Tu crois que tu pourrais nous aider à rendre notre CLSPD plus vivant ?" C’est par l’affirmative et avec enthousiasme que j’ai relevé le défi que me lançait la direction de la tranquillité publique de Montreuil il y a un peu plus de quatre ans. Il faut dire que le chalenge était là : en matière de dialogue, on partait de loin ! Comme dans la plupart des villes, la traditionnelle réunion plénière du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance ressemblait plutôt à une longue série de monologues institutionnels. Un rituel utile, mais un poil poussiéreux. Désormais largement ouverts au public et notamment aux acteurs associatifs, les CLSPD de Montreuil sont rythmés autour des priorités d’action collective. Une présentation incarnée ou audiovisuelle des données de chaque enjeu précède l’ouverture du temps-clé qui lui est dédié : un échange franc et construit entre les représentants des acteurs institutionnels impliqués. Police, justice, école et représentants des services municipaux concernés… chacun est face à ses responsabilités. Entre les débats, pour redonner de l’énergie au dialogue, il nous arrive parfois de lancer un petit quiz. Et quand on est fous, un jeu où tout le monde se lève pour éprouver une méthode innovante utilisée dans un stage de déradicalisation…

Vous voulez garder de bonnes relations avec le sous-préfet ? Vous voudriez fluidifier l’échange d’informations avec la commissaire ? Vous voulez valoriser le travail de vos services ? Alors, ne vous réfugiez pas derrière le protocole et assumez pleinement le beau rôle que vous pouvez jouer : créer les conditions d'une coopération franche et d'une compréhension mutuelle entre l'ensemble des acteurs de la sécurité.

Affichez les couleurs !

Quand un jeune maire écolo succède à un baron local "passé par l’intérieur", qu’est-ce que ça change en matière de sécurité ? C’est bien ce qu’on allait voir à l’occasion de la première grande réunion publique du nouveau maire de Lyon que j’ai eu le plaisir de préparer et d’animer. Ce soir de juin 2021, un an après son élection et quelques confinements plus tard, Gregory Doucet se jette dans le grand bain de la tranquillité publique. 200 habitants, certains très en colère, l’attendent de pied ferme au Palais de la Mutualité… Sur la table des échanges : le réaménagement de la place du quartier de la Guillotière, (trop) connue pour ses rixes, ses vendeurs de cigarettes à la sauvette et comme un coin à éviter pour de nombreux Lyonnais. Dans les gradins, deux camps s’affrontent bruyamment : les dénonciateurs d’insécurité tentent de déborder les défenseurs de la mixité sociale. En réponse à chacun d’eux, le maire tient la ligne municipale : un appel pressant au renforcement de la présence policière, certes ; mais surtout de nouveaux aménagements pour "mieux vivre ensemble place du Pont". Bilan de la soirée ? "On n’a pas été déçu", s’est réjoui un couple de personnes âgées habitant le quartier depuis des dizaines d’années : "Au fur et à mesure que la séance avançait, on a trouvé qu’on était de plus en plus dans le coup !"

Moralité. Rien ne sert de tortiller, il faut vos convictions assumer. Si les gens ont voté pour vous, c'est aussi parce que vous portiez une vision sur la manière de vivre tranquille, ensemble… Face aux tensions, face aux peurs, face aux huées, soyez à l’écoute, mais restez concentré : les citoyens ont besoin de vous pour défendre et incarner une approche locale de la sécurité. Une politique au sens noble !

Julien ROIRANT
Activateur du débat public
agoralab.fr